L’essentiel
Quatorze arrêts très intéressants rendus ces dernières semaines par la troisième chambre civile en droit immobilier. En matière de vente, d’abord, les magistrats du Quai de l’Horloge ont ouvert une possibilité de régularisation, en cours d’instance, de la nullité de la vente immobilière de la chose d’autrui (I.2). Ensuite, la restitution en jouissance, consécutive à une annulation, n’est pas subordonnée à l’absence de mauvaise foi du vendeur (I.3). En outre, une servitude d’utilité publique de passage de canalisation de gaz ne peut être constituée, hors respect de la procédure spécifique prévue au code de l’énergie (II.1). Et le locataire peut agir en référé, sur le fondement du trouble manifestement illicite, pour faire cesser l’obstruction du droit de passage permettant la desserte de son domicile (II.3). Par ailleurs, en matière de baux commerciaux, la troisième chambre civile a fixé les modalités de calcul de la créance de restitution d’indu résultant d’une clause d’indexation réputée non-écrite (III.1). Le bailleur commercial peut aussi solliciter le déplafonnement du loyer en raison de sa nouvelle obligation d’assurance résultant de la loi ALUR (III.2). En bail à ferme, la troisième chambre civile a précisé que les améliorations irrégulièrement réalisées ne doivent pas être prises en compte pour la fixation du prix du bail renouvelé (III.3). Et, en désordres de construction, il a été rappelé que les juges du fond ne peuvent imposer au maître d’ouvrage une réparation en nature à laquelle il s’est opposé (IV). Enfin, la Cour de cassation, dans une décision de non-lieu à renvoi de QPC, a jugé que les visites domiciliaires à fins de contrôles d’urbanisme, ne méconnaissent pas le principe de l’inviolabilité du domicile (V).
I – Vente immobilière
1 – Promesse de vente immobilière : point de départ du délai de rétractation
Civ. 3ème, 19 décembre 2024, pourvoi n° 23-12.652, FS-B
Un arrêt qui se prononce sur la combinaison des articles L. 271-1 du code de la construction et de l’habitation (qui prévoit au profit de l’acquéreur non-professionnel d’un immeuble un délai de rétractation de dix jours courant à compter du lendemain de la première présentation de la lettre lui notifiant l’acte) et 641, alinéa 1er, du code de procédure civile, suivant lequel lorsqu’un délai est exprimé en jours, celui de l’acte, de l’événement, de la décision ou de la notification qui le fait courir ne compte pas. Pour la troisième chambre civile, ces deux textes expriment la même règle, si bien que les jours de grâce prévus par chacun d’eux ne se cumulent pas. Avis donc aux acquéreurs immobiliers : le délai de rétractation court à partir du lendemain du jour de présentation de la lettre recommandée leur notifiant l’acte de vente ou du jour suivant la remise en main propre de celui-ci, sans que le droit commun de l’article 641 du code de procédure civile ne leur aménage un jour supplémentaire de réflexion.
2 – Vente de la chose d’autrui : régularisation en cours d’instance
Civ. 3ème, 5 décembre 2024, pourvoi n° 21-18.445, FS-B
Un arrêt qui pose, pour la première fois, une règle propre à éviter les lourdes conséquences d’une annulation, en aménageant une faculté de régularisation de la vente (nulle) de la chose d’autrui : celle-ci n’est pas prononcée si, par la régularisation de la vente principale intervenue au cours de l’instance en nullité intentée par le sous-acquéreur, tout risque d’éviction de celui-ci a disparu au jour où le juge statue. On le sait, la nullité est relative et l’action qui en découle est ouverte au seul acquéreur. La solution dégagée est très pragmatique qui renverse la jurisprudence antérieure selon laquelle la régularisation devait forcément, pour pouvoir opérer, être intervenue avant que l’action soit intentée.
3 – Vente : nullité et restitution en jouissance
Civ. 3ème, 5 décembre 2024, pourvoi n° 23-16.270, FS-B
La restitution en jouissance n’est pas subordonnée à l’absence de faute ou de mauvaise foi du vendeur, tel est l’enseignement de l’arrêt. Il s’agit d’une application des nouveaux textes (articles 1352-3, alinéa 1er, et 1352-7 du code civil) qui prévoient la restitution en jouissance en suite d’une annulation. La bonne ou mauvaise foi du vendeur n’a de conséquence que sur les dates de restitution et de paiement des intérêts. Le vendeur de mauvaise foi doit les intérêts depuis le paiement du prix, alors que celui qui est de bonne foi (il a contracté dans l’ignorance de la cause de nullité), ne les doit qu’à compter de la demande. De même, le vendeur de mauvaise foi n’a droit à la restitution de la valeur de la jouissance de la chose qu’à compter de la demande lorsque l’acquéreur est de bonne foi. La mauvaise foi du vendeur n’a donc pas pour conséquence de le priver de la restitution en jouissance, seul le point de départ de celle-ci est différé jusqu’à la demande qu’il en fait.
II – Servitudes
1 – Servitude d’utilité publique : conditions de constitution
Civ. 3ème, 28 novembre 2024, pourvoi n° 21-21.303, FS-B
Quelles conditions pour obtenir le passage, dans le sol d’un fonds servant, d’une servitude d’utilité publique de passage d’une canalisation de gaz ? C’est à cette question que répond l’arrêt. Sauf accord du propriétaire, une telle servitude ne peut être constituée qu’après déclaration préalable d’utilité publique des travaux. La solution, protectrice des intérêts du propriétaire privé, est conforme au code de l’énergie qui instaure une procédure d’établissement de cette servitude constituant une condition préalable nécessaire. En application des dispositions des articles R. 433-5, R. 433-9, R. 323-14 et R. 323-15 du code de l’énergie, les servitudes de passage nécessaires aux canalisations de gaz sont établies par arrêté préfectoral, lequel doit être notifié aux pétitionnaires, affiché à la mairie de chacune des communes intéressées, puis notifié par lettre recommandée avec demande d’avis de réception à chaque propriétaire concerné, ainsi qu’à chaque occupant pourvu d’un titre régulier. C’est de toute cette procédure que l’opérateur avait cru pouvoir se passer. Cassation, la Haute juridiction rappelant les strictes conditions de constitution d’une telle servitude.
2 – Servitude par destination du père de famille : date d’appréciation de ses conditions d’existence
Civ. 3ème, 23 janvier 2025, pourvoi n° 23-12.385, FS-B
La troisième chambre civile rappelle une règle bien connue : les conditions d’existence d’une servitude par destination du père de famille s’apprécient au jour de la division des fonds concernés. Elle apporte néanmoins une précision : si les deux fonds, après avoir été ensuite réunis, font l’objet d’une nouvelle division, c’est à cette dernière date qu’il faut se placer pour apprécier l’existence de la servitude.
3 – Servitude de passage : qualité du locataire pour demander en référé le rétablissement du droit
Civ. 3ème, 23 janvier 2025, pourvoi n° 23-19.970, FS-B
Seul le propriétaire du fonds dominant peut agir pour faire reconnaître le droit de passage. Mais le locataire est-il privé de toute qualité à agir ? Non, répond la Cour de cassation. Il peut agir en référé, sur le fondement du trouble manifestement illicite, pour obtenir le rétablissement du droit de passage. Une solution logique : le locataire n’agissait pas, en l’espèce, pour faire reconnaître l’existence et l’assiette de la servitude, mais il tendait à obtenir les mesures propres à faire cesser le trouble résultant de l’obstruction d’une voie carrossable desservant son domicile.
III – Baux
1 – Bail commercial : clause d’indexation et créance de restitution (prescription et étendue)
Civ. 3ème, 23 janvier 2025, pourvoi n° 23-18.643, FS-B
La Cour de cassation rappelle quelle est la prescription applicable à la créance de restitution du surcoût de loyers découlant d’une clause d’indexation réputée non-écrite. Si le non-écrit est imprescriptible (Civ. 3ème, 19 novembre 2020, n° 19-20.405, publié ; Civ. 3ème, 16 novembre 2023, n° 22-14.091, publié), la créance de restitution en découlant est, pour sa part, soumise à la prescription quinquennale courant en arrière de la demande en justice. La Cour apporte néanmoins une précision : la créance de restitution de l’indu doit être calculée sur la base du loyer qui aurait été acquitté à défaut d’application de la clause d’échelle mobile, et non sur le loyer effectivement acquitté à la date du point de départ de la prescription. En somme, la clause d’indexation étant réputée n’avoir jamais existé, le bailleur doit restituer toutes les augmentations de loyer résultant de l’application de la clause invalidée, la restitution des indexations non prescrites devant nécessairement être calculée à partir du loyer initial et non du montant du dernier loyer illicitement indexé.
2 – Bail commercial : déplafonnement du prix du bail renouvelé (prise en compte de l’obligation d’assurance du bailleur)
Civ. 3ème, 23 janvier 2025, pourvoi n° 23-14.887, FS-B
Un arrêt qui réjouira les bailleurs aspirant au déplafonnement du prix du bail commercial renouvelé. Il pose que le bailleur peut désormais invoquer, à l’appui de sa demande de déplafonnement, le coût, exposé en cours du bail expiré, résultant pour lui de l’obligation nouvelle d’assurance responsabilité civile du propriétaire non-occupant, mise à sa charge par la loi ALUR du 24 mars 2014. La solution est heureuse car le coût d’une telle assurance n’est pas négligeable et avait, en l’espèce, entraîné pour le bailleur une baisse de revenus locatifs à hauteur de 22,97 %. La nouvelle obligation légale entraîne ainsi une modification notable des obligations des parties justifiant le déplafonnement du loyer, peu important, précise la troisième chambre civile, que le propriétaire ait déjà volontairement souscrit une telle assurance par le passé.
3 – Bail à ferme (prix du bail renouvelé et améliorations irrégulières)
Civ. 3ème, 28 novembre 2024, pourvoi n° 23-17.036, FS-B
La Cour de cassation se prononce dans le prolongement d’une ligne jurisprudentielle connue : pour la fixation du prix du bail à ferme renouvelé, les améliorations régulièrement réalisées par le preneur ne peuvent être prises en compte pour la fixation du fermage, dès lors qu’elles doivent être indemnisées en fin de bail (Civ. 3ème, 6 juillet 2017, n° 16-15.607 ; Civ. 3ème, 13 février 1970, n° 67-13.752 ; Bull. III, n° 108). Mais qu’en est-il des améliorations irrégulièrement réalisées par le preneur, comme telles insusceptibles de donner lieu à indemnisation de la part du bailleur ? Selon l’arrêt, elles ne doivent pas davantage être prises en compte pour la fixation du fermage du bail renouvelé. La solution est opportune qui évite de sanctionner doublement le fermier : il n’a pas droit à indemnisation en fin de bail et en sus, il aurait pu subir une majoration de loyer du fait des améliorations irrégulièrement apportées.
4 – Bail à ferme : date d’appréciation de la demande d’autorisation de cession (congé pour retraite du fermier)
Civ. 3ème, 28 novembre 2024, pourvoi n° 13-13.776, FS-B
Cet arrêt précise que la date de la cession de bail projetée, en cas de congé pour retraite du fermier, est celle d’expiration du bail, soit la date d’effet du congé. Les conditions de la cession, notamment la situation du cessionnaire, doivent donc être remplies à cette date. En conséquence, l’exploitant agricole qui a reçu du bailleur un congé pour retraite doit impérativement agir, s’il souhaite céder son exploitation à un ayant droit, avant la date d’effet du congé et le candidat repreneur doit satisfaire aux conditions légales à cette même date.
5 – Bail à ferme : décès du preneur sans conjoint, ascendant ou descendant susceptibles de reprendre l’exploitation
Civ. 3ème, 9 janvier 2025, pourvoi n° 23-13.878, FS-B
Une décision qui répond à une question intéressante, mais pas nouvelle (Civ. 3ème, 27 juin 1979, n° 78-12.090). Si le fermier décède sans laisser d’ayant droit privilégié susceptible de continuer l’exploitation et à défaut de résiliation par le bailleur dans le délai de six mois, qui peut reprendre le droit au bail ? Les héritiers et légataires universels y ont vocation selon la dévolution ordinaire et, en cas de demandes multiples, le tribunal paritaire des baux ruraux choisit l’un d’eux, en considération des intérêts en présence et de l’aptitude des candidats repreneurs à gérer l’exploitation et à s’y maintenir. A ou aux héritiers donc qui souhaitent reprendre le bail rural de saisir le tribunal paritaire des baux ruraux pour se faire désigner.
6 – Bail à ferme : apport à une société sans l’agrément du bailleur et point de départ de la prescription de l’action en résiliation
Civ. 3ème, 12 décembre 2024, pourvoi n° 23-20.354, FS-B
Quel est le point de départ de la prescription de l’action en résiliation du bail ouverte au bailleur dans l’hypothèse d’apport non autorisé du bail rural à une société ? La prescription court, répond l’arrêt, seulement du jour où l’infraction a cessé. La solution est la même dans l’hypothèse de cession ou de sous-location prohibées (Civ. 3ème, 1er février 2018, pourvoi n° 16-18.724, Bull. III, n° 11). Aussi bien l’apport incriminé s’analysait-il en une cession de bail interdite. Une solution favorable au bailleur et propre à décourager les cessions prohibées.
IV – Contrat d’entreprise : responsabilité du locateur d’ouvrage (réparation en nature)
Civ. 3ème, 16 janvier 2025, pourvoi n° 23-17.265
L’arrêt procède à deux rappels importants. D’abord, l’impropriété d’un immeuble à sa destination s’apprécie par référence à sa destination découlant de son affectation, telle qu’elle résulte de la nature des lieux ou de la convention des parties. En l’espèce, le bâtiment affecté de désordres avait une destination particulière, celle de stockage de grains, supposant un environnement propre à la conservation de ceux-ci. En conséquence, le phénomène de condensation en toiture, découlant d’une faute de l’entreprise qui n’avait pas prévu la pose d’écran sous toiture, était de nature à rendre le bâtiment impropre à sa destination. Ensuite, si le maître d’ouvrage refuse la réparation en nature des désordres affectant l’ouvrage, les juges ne peuvent prononcer qu’une réparation par équivalent. Le principe est consacré en matière de construction depuis longtemps (Civ. 3ème, 28 septembre 2005, n° 04-14.586, Bull. III, n° 180) ; il s’impose aux juges qui ne pourraient décider de leur propre mouvement d’une réparation en nature sans modifier les termes du litige.
V – Visites domiciliaires en matière d’urbanisme : non-lieu à transmission d’une QPC
Civ. 3ème, 19 décembre 2024, pourvoi n° 24-16.592, FS-B
Selon la troisième chambre civile, les visites domiciliaires à fins de contrôles administratifs, n’emportant ni perquisition ni saisie ni mesure de contrainte, de la réglementation applicable en matière de construction et de travaux (régies par les articles 461-1 et suivants du code de l’urbanisme), sont entourées de garanties suffisantes, en cas de refus de l’occupant d’autoriser l’accès aux lieux. Le juge des libertés et de la détention autorise l’accès par ordonnance qui doit être notifiée à l’occupant (art. L. 461-3, I et II du code de l’urbanisme) et qui peut faire l’objet d’un appel devant le premier président de la cour d’appel dans un délai de quinze jours (art. L. 461-3, V). Dans le même délai, il est aussi possible de présenter un recours contre le déroulement des opérations de visite (art. L. 461-3, VI). La question était de savoir si les articles L. 461-1 et L. 461-3 du code de l’urbanisme sont contraires au droit au respect de l’inviolabilité du domicile garanti par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Pour les magistrats du Quai de l’Horloge, les garanties prévues à l’article L. 461-3 suffisent à réaliser un équilibre entre le droit au respect de l’inviolabilité du domicile et l’intérêt général de maîtrise de l’occupation des sols et du développement urbain par les collectivités publiques.