Procédure Civile – Lettre n°32

L’essentiel

Seize arrêts récents rendus principalement par la deuxième chambre civile, apportant tous d’utiles précisions pour les avocats, notamment en matière de procédure d’appel, toujours un peu nébuleuse. D’abord, la Cour de cassation a rappelé les règles de calcul du taux du ressort du tribunal d’instance (I) et précisé par ailleurs que l’action en expulsion découlant d’un bail n’est pas attitrée (II.1). En outre, la saisine du juge des référés est possible, en concurrence avec la compétence d’un juge de la mise en état déjà désigné, dès lors que les actions, mêmes connexes, ont un objet différent (II.2). En appel, dans l’hypothèse de jonction d’instance, un appelant principal peut interjeter appel incident de l’autre appel principal et étendre ainsi ses demandes (III.3). Concernant la procédure d’appel sans représentation obligatoire, la Cour de cassation a rappelé que les avocats sont, au regard de l’effet dévolutif, des plaideurs comme les autres (III.4). Également, quatre arrêts intéressants sur la structuration des conclusions, allant dans le sens d’un assouplissement (III.6 à 9). Une précision aussi sur la prescription de l’exécution de la décision de taxe du bâtonnier : celle-ci ne constituant pas un titre exécutoire, la demande de rendre la décision exécutoire doit être présentée au juge dans le délai de prescription de la créance (2 ou 5 ans selon le cas) (IV.1). Et un rappel de ce qu’un arrêt qui se borne à trancher une fin de non-recevoir n’est pas susceptible de pourvoi immédiat, même si une question de fond préalable a été tranchée, dès lors que celle-ci n’est pas visée au dispositif (V).

I – Compétence

1 – Compétence du tribunal d’instance : calcul du taux du ressort

Civ. 2ème, 16 janvier 2025, pourvoi n° 22-21.138, FR-B

Un arrêt qui apporte une utile précision sur les modalités de calcul du taux de compétence en dernier ressort du tribunal d’instance. Ce taux est inférieur ou égal à la somme de 4 000 euros. Dans le cadre de l’action en restitution par le preneur du dépôt de garantie d’un bail d’habitation, la majoration légale de 10 % du loyer due par le bailleur dans l’hypothèse de retard de restitution, entre en compte, car elle constitue un accessoire du dépôt de garantie, en sorte que l’appel était en l’espèce recevable. Les avocats devront donc prendre cet élément en considération pour calculer le taux du ressort.

2 – Compétence concurrente du juge de la mise en état et du juge des référés

Civ. 2ème, 16 janvier 2025, pourvoi n° 22-19.719

Lorsqu’un juge de la mise en état a été désigné dans le cadre d’une instance, le juge des référés peut être saisi d’une instance connexe, mais dont l’objet est différent. En l’espèce, des acquéreurs de parcelles avaient saisi un tribunal judiciaire d’une action en annulation de la préemption opérée par la SAFER. Celle-ci a, de son côté, assigné ces mêmes acquéreurs en expulsion des parcelles qu’ils occupaient. Pour la Cour de cassation, l’exercice de ces actions concurrentes était possible, dès lors qu’elles avaient des objets différents.

II – L’instance

1 – Qualité à agir en expulsion

Civ. 3ème, 14 novembre 2024, pourvoi n° 23-13.884, FS-B

Une personne autre que le bailleur peut-elle agir en expulsion ? Oui, répond la Cour de cassation, l’action n’est pas ouverte à des personnes qualifiées, mais à tous ceux qui ont un intérêt légitime à son succès. Cette décision rendue en matière de bail rural peut s’étendre à tous les baux. En l’espèce, une SCEA titulaire de baux consentis à son profit sur des parcelles, pouvait agir pour demander l’expulsion d’une société d’exploitation agricole à responsabilité limitée qui prétendait être titulaire de baux sur ces mêmes terres : l’action en expulsion n’est ainsi pas réservée au bailleur.

2 – Péremption : contentieux de la sécurité sociale

Civ. 2ème, 9 janvier 2025, pourvoi n° 22-19.501, FR-B

Au visa notamment de l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la deuxième chambre civile rappelle qu’en procédure orale, tel le contentieux de la sécurité sociale, à moins que les parties ne soient tenues d’accomplir une diligence particulière mise à leur charge par la juridiction, la direction de la procédure leur échappe. Elles n’ont, dès lors, plus de diligences à accomplir en vue de l’audience à laquelle elles sont convoquées par le greffe. Cassation donc de l’arrêt qui avait constaté la péremption d’instance, alors qu’il ne saurait être imposé aux parties de solliciter la fixation de l’affaire à une audience.

III – L’appel

1 – Acte d’appel : régularisation avant forclusion

Civ. 2ème, 16 janvier 2025, pourvoi n° 22-20.374, FR-B

Un acte d’appel est formé par un liquidateur en son nom personnel et non ès qualités. Il intervient plus tard à l’instance, par conclusions mentionnant sa qualité. La cour d’appel avait déclaré l’appel irrecevable. Cassation : le défaut de mention de la qualité de liquidateur dans l’acte d’appel ne constituait qu’un vice de forme – nécessitant donc la preuve d’un grief -, lequel avait été régularisé par conclusions ultérieures. Deux enseignements donc à tirer de cet arrêt : d’abord, l’erreur, dans l’acte d’appel, sur la qualité en laquelle une partie agit ne constitue qu’un vice de forme, nécessitant la preuve d’un grief pour être sanctionné, ensuite, ce vice peut être régularisé par dépôt de conclusions ultérieures.

2 – Procédure à jour fixe imposée : la requête est recevable si elle a été déposée sur support papier et non par communication électronique

Civ. 2ème, 28 novembre 2024, pourvoi n° 21-13.648, FR-B

L’arrêt rappelle que l’article 2 de l’arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique (CPVE) en matière civile devant la cour d’appel est applicable, non seulement aux procédures devant la cour d’appel, mais également devant son premier président. Cependant, la méconnaissance d’une telle prescription propre aux procédés techniques utilisés en matière de communication électronique, ne saurait avoir pour effet de rendre l’appel irrecevable, une telle conséquence étant disproportionnée au regard du but poursuivi. Ainsi, une requête présentée au premier président, sur support papier, est recevable. Cet arrêt se trouve dans la ligne jurisprudentielle prohibant l’excès de formalisme dans la procédure civile, mais s’explique aussi sans doute par la matière : l’appel du jugement d’orientation est un appel à jour fixe « imposé », en sorte qu’un formalisme trop rigoureux serait disproportionné.

3 – Recevabilité d’un appel incident et jonction d’instances

Civ. 2ème, 16 janvier 2025, pourvoi n° 22-17.732, FR-B

Après jugement, chacune des parties avait formé un appel principal. L’arrêt enseigne que le salarié, partie appelante principale, peut parfaitement former un appel incident sur l’autre appel principal de l’employeur et étendre ainsi ses demandes, lesquelles doivent être intégralement examinées par la cour. La jonction ultérieure des deux instances d’appel n’a pas pour effet de le priver de ce droit. Un arrêt qui illustre à nouveau le principe selon lequel les instances jointes restent distinctes.

4 – Acte d’appel ne mentionnant pas les chefs attaqués de la décision, en procédure sans représentation obligatoire : l’effet dévolutif est total

Civ. 2ème, 12 décembre 2024, pourvoi n° 22-17.581, FR-B

Où l’on voit que les avocats sont des plaideurs comme les autres en procédure sans représentation obligatoire, telle celle, se déroulant devant le bâtonnier, en règlement des différends nés entre avocats pour l’exercice de leur profession. Concernant l’acte d’appel, une cour s’était avisée de juger que l’effet dévolutif n’avait pas opéré, faute d’indication, dans l’acte d’appel, des chefs attaqués de la décision du bâtonnier. Elle n’ignorait pas qu’en procédure sans représentation obligatoire, plus souple que celle avec représentation, l’effet dévolutif opère, dans un tel cas, pour le tout. Mais la cour d’appel avait estimé que cette règle ne s’appliquait pas aux plaideurs avocats, professionnels du droit et de la procédure civile. Cassation : que le litige oppose des avocats n’a pas pour effet de les priver des avantages de la procédure sans représentation obligatoire et la dévolution avait bien opéré pour le tout.

5 – Appel : délai pour conclure et médiation

Civ. 2ème, 16 janvier 2025, pourvoi n° 22-20.775, FR-B

Un arrêt intéressant, rendu sur un moyen soulevé d’office par la Cour de cassation. L’article 910-2 du code de procédure civile, dans sa version applicable jusqu’au 1er septembre 2024, disposait que : « La décision qui enjoint aux parties de rencontrer un médiateur en application de l’article 127-1 ou qui ordonne une médiation en application de l’article 131-1 interrompt les délais impartis pour conclure et former appel incident mentionnés aux articles 905-2 et 908 à 910. L’interruption produit ses effets jusqu’à l’expiration de la mission du médiateur ». La Haute juridiction pose que ce texte qui étend à la décision enjoignant aux parties de rencontrer un médiateur la faculté d’interrompre les délais impartis pour conclure jusqu’alors réservée à la seule décision ordonnant une médiation, est applicable aux instances n’ayant pas pris fin par un arrêt d’appel antérieur à la date de son entrée en vigueur. La cour d’appel est en outre tenue, au besoin d’office, de faire application de ce nouveau texte. La faveur donnée à la médiation ne désempare ainsi pas.

6 – Structuration des conclusions et moyen soulevé d’office

Civ. 2ème, 9 janvier 2025, pourvoi n° 22-13.911, FS-B

Cet arrêt traite du principe du contradictoire appliqué à l’article 954 du code de procédure civile. Selon ce texte, la cour d’appel ne doit répondre qu’aux prétentions récapitulées au dispositif des dernières conclusions, telles qu’elles sont appuyées par les moyens développés en corps de conclusions. En conséquence, elle doit d’office délaisser les moyens qui figurent seulement au dispositif. Inversement, on peut penser que la cour d’appel n’a pas non plus à examiner les moyens de la discussion qui ne fondent aucune prétention au dispositif. Bref, en tirant toutes conséquences de la structuration des conclusions, les juges ne soulèvent pas de moyen d’office.

7 – Conclusions : moyens et prétentions

Civ. 2ème, 16 janvier 2025, pourvoi n° 22-17.956, FR-B

Où la Cour de cassation précise à nouveau la distinction, assez nébuleuse, entre prétentions devant être récapitulées, sous peine d’abandon, au dispositif des dernières conclusions d’une partie et moyens de fond pouvant figurer seulement dans le corps de ces conclusions. L’invocation de la nullité du contrat de prêt et du cautionnement, ainsi que celle du défaut d’information annuelle de la caution, constituent ainsi de simples moyens de fond, devant être examinés par la cour d’appel, dès lors que le plaideur avait demandé, dans le dispositif de ses conclusions, le rejet des prétentions de son adversaire. Une simplification qui ne manquera pas de ravir les avocats.

8 – Conclusions en matière d’expropriation et pièces annexées

Civ. 3ème, 16 janvier 2025, pourvoi n° 23-20.925, FS-B

Au visa de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, la Cour de cassation juge – et cette jurisprudence est immédiatement applicable –, en matière d’expropriation et pour l’article R. 311-26 du code de l’expropriation, que le défaut de communication des pièces dans le délai imparti aux parties pour conclure n’est désormais plus sanctionné par la caducité de l’appel, mais par le droit commun de la communication de pièces dont certaines peuvent être écartées des débats, lorsqu’elles ont été transmises trop tardivement au regard du principe du contradictoire. Une extension bienvenue de la jurisprudence traditionnelle à l’expropriation.

9 – Conclusions : absence de renvoi exprès aux pièces annexées

Civ. 2ème, 28 novembre 2024, pourvoi n° 22-16.664, FR-B

Cet arrêt, encore rendu au visa de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, précise que le renvoi aux pièces en corps de conclusions, prévu par l’article 954 du code de procédure civile, n’est assorti d’aucune sanction. En conséquence, la cour d’appel doit examiner les pièces clairement identifiées dans les conclusions, peu important une telle absence de renvoi (ou de numérotation). Reste à savoir ce qu’il faudra entendre par pièces clairement identifiées. Une décision qui s’inscrit dans la ligne du recul du formalisme excessif.

IV – Prescription et délai de rétractation

1 – Demande de rendre exécutoire la décision du bâtonnier (fixation d’honoraires)

Civ. 2ème, 19 décembre 2024, pourvoi n° 23-11.754, FR-B

Le principe est clair : en matière de contestation d’honoraires d’avocat, la demande, présentée au président du tribunal judiciaire, de rendre exécutoire la décision du bâtonnier, laquelle ne constitue pas, tant qu’elle n’a pas été rendue exécutoire, un titre exécutoire au sens de l’article L. 111-3 du code des procédures civiles d’exécution, soumis au délai de 10 ans prévu pour l’exécution des titres exécutoires, doit être présentée dans le délai de prescription de la créance, lequel est de deux ans si le client est une personne physique ayant eu recours aux services d’un avocat, à des fins n’entrant pas dans le cadre d’une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale (dans les autres cas, c’est la prescription quinquennale qui s’applique). Cassation donc d’une décision de la cour d’appel qui avait jugé que cette demande n’était soumise à aucun délai.

2 – Vente : point de départ du délai ouvert pour la faculté de rétractation

Civ. 3ème, 19 décembre 2024, pourvoi n° 23-12.652, FS-B

Les articles L. 271-1 du code de la construction et de l’habitation, selon lequel l’acquéreur non professionnel peut se rétracter dans un délai de 10 jours à compter du lendemain de la première présentation de la lettre lui notifiant l’acte, et 641, alinéa 1er du code de procédure civile, suivant lequel lorsqu’un délai est exprimé en jours, celui de l’acte, de l’événement, de la décision ou de la notification qui le fait courir ne compte pas, expriment la même règle, de sorte que leurs effets ne se cumulent pas. Avis donc aux acquéreurs immobiliers : les jours de grâce prévus par chacun des textes se confondent en matière d’exercice du droit de rétractation dans une vente et ne peuvent donc s’additionner pour donner un jour supplémentaire de réflexion à l’acquéreur.

V – Pourvoi en cassation

. Recevabilité

Civ. 3ème, 17 octobre 2024, pourvoi n° 22-20.223, FS-B

On le sait, l’article 789 du code de procédure civile permet au juge de la mise en état de trancher la question de fond qui conditionne l’issue d’une fin de non-recevoir. Il doit alors, en principe, statuer sur ces deux questions par chefs de dispositif distincts (article 125 du code de procédure civile). Mais si la cour, saisie en appel, tranche seulement, dans son dispositif, la fin de non-recevoir sans viser la question de fond, le pourvoi immédiat est fermé. L’arrêt a été rendu sur avis de la deuxième chambre civile (Civ. 2ème, avis, 4 juillet 2024, pourvoi n° 22-20.223, FS-D). Il constitue un rappel de ce que seul le dispositif d’un jugement est revêtu de la force de chose jugée. Mais ne consacre-t-il pas un contournement des prescriptions de l’article 125 du code de procédure civile, en permettant que soit remise sur le métier la question de fond ayant permis de trancher la fin de non-recevoir ?

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